Lionel Sabatté
Morphèmes
23 février - 27 avril 2019Lionel Sabatté
Morphèmes
23 février - 27 avril 2019
De la vie dans la mort,
C’est à la Réunion que Lionel Sabatté a vécu de ses 10 à 20 ans. Même s’il faut parfois s’écarter de la dimension biographique d’un créateur, dans ce cas, ce n’est pas un écueil de s’y pencher pour éclairer son œuvre. La Réunion donc, où un volcan, Le Piton des Neiges, est né il y a cinq millions d’année. A cela s’ajoute des rituels tamouls qu’il a vus enfant, pendant lesquels il faut traverser le feu. Lentement, les pieds traversent la chaleur. Assurément, ces images et les éruptions du volcan ont eu une influence sur l’expression plastique de l’artiste. Rouge vif, jaune franc, noir profond. Les couleurs jaillissent, sortent de la toile comme la lave sort de la terre. La terre, et son état gazeux sont ainsi une des explorations de Lionel Sabatté. Tellurique, volcanique et sanguin, donc, ainsi s’expriment ses toiles. Des toiles qui furent d’abord peintes à l’acrylique. Et ce n’est pas un hasard qu’il se tourne à ses débuts vers cette chimie car c’est un dérivé du pétrole, une matière qui contient des organismes morts il y a des millions d’années. L’artiste par ce medium forge en sourdine un hommage aux formes de vie ancestrales. Puis, l’échelle a changé, les états de la vie convoqués ont évolué. Le monde sous-marin l’a pour un temps passionné et a nourri son travail. A l’époque, c’est à l’Aquarium de Paris qu’il expose ses créatures d’un autre temps. L’exposition s’intitulait La fabrique des profondeurs. Profondeurs abyssales qui donnèrent le ton à une série consacrée à l’apparition de la vie et à des créatures réalisées à partir de poussière. Une poussière récupérée au métro Châtelet, fruit des frôlements entre les hommes. Les restes de vie laissés par le passage d’inconnus, d’êtres humains. Du reste, toutes les créations de Lionel Sabatté parlent de l’apparition de la vie et de l’exploration de ses différents états.
L’artiste a ensuite développé une série de peintures, initiée en 2011, qui a muté, tel un organisme. D’abord il y eut des lacs de peinture, retouchés avec un petit pinceau. Des lacs où apparaissaient des créatures vivantes et inconnues. Avec son pinceau, tel un peintre classique, il cherche à l’époque, à former des figures réalistes. Souvent des oiseaux. On pourrait à cet égard parler d’abstraction anthropomorphe. Par touches, la vie apparaît, naît sous nos yeux. Alors qu’un peintre de nature morte s’appuie sur le réel pour composer, lui cherche la vie dans les taches de peinture. Des taches qui réveillent notre propension à trouver l’humain dans le monde mouvant qui nous entoure. A la façon dont on creuse notre imagination pour voir dans le ciel et ses nuages des sujets, des objets connus. Cette aspiration à faire de l’inconnu du connu caractérise en partie son travail. Aujourd’hui, il ne peint plus qu’à l’huile. Sans doute pour créer des effets de matière. Sa série de peintures a en effet sans cesse évolué. Cela lui permit en effet de jouer avec les tons et la lumière. Une lumière qui perce la toile. Ces grands formats façonnent une peinture de l’urgence, de l’éclosion et de l’éclat de la vie. La chaleur en émane, brûlante, bouillonnante. Sous son pinceau et par sa pratique, la peinture froide est réanimée et se réchauffe. Il est intéressant de noter que sa série à l’huile a peu à peu effacé les formes reconnaissables pour laisser place à une pure abstraction. De moins en moins d’êtres et d’oiseaux guident sa peinture. C’est la sculpture qui a comme récupéré et capté ses oiseaux. Ils boitent, ils titubent, ils dodelinent de leurs têtes fragiles. Ces oiseaux en volume sont la suite d’une série de plaques de métal oxydées. Ils sont faits de cire, puis passent entre les mains d’un fondeur. Il les récupère avec des vis qu’il veille à ne pas extraire. Pourquoi les laisse-t-il ainsi marqués par des clous ? Pour qu’ainsi ils deviennent des martyrs, ce qui n’est pas sans évoquer la sculpture africaine. Les accidents deviennent ainsi des actions volontaires. Ces oiseaux, légers comme le vent répondent à ses dessins d’oiseaux des îles. Des dessins qui laissent l’œil, grâce à des effets d’échelle, voir de loin ici une île vue d’en haut, là un oiseau vu de près. Certains volatiles sont morts, comme s’ils avaient péri ou été figés dans le bronze. A travers cette exploration de l’oxydation, Lionel Sabatté s’attache à lier mort et renaissance qui se côtoient alors comme deux amis inséparables. D’autres sculptures peuplent le travail de l’artiste. Notamment une ample série d’arbres morts fleuris de peaux humaines. Sont exposés ici trois groupes d’arbres. Le premier est composé de vrais troncs, entiers, mesurant quatre mètres de haut. Des arbres de la montagne Sainte victoire qui avaient brulés et qu’il fait bourgeonner avec des peaux humaines, comme un gage de vie. Une vie retrouvée à l’aide de bouts de peau de pied glanés chez des podologues. Des pieds urbains, parisiens. Toujours ces traces, ces restes de vie qui ont le pouvoir de réanimer des objets morts... L’épiderme d’anonymes soignés deviennent à travers son geste des pétales de fleurs. L’autre groupe d’arbre est constitué d’oliviers morts pendant l’hiver 54. L’hiver le plus froid du siècle marqué par le célèbre appel de l’Abbé Pierre. Ces arbres parlent d’un élan de solidarité historique. D’une communauté qui tente de lutter comme un seul homme contre la rudesse du climat. L’olivier, de plus, image de paix, enveloppe son œuvre d’une couche symbolique. Le dernier groupe d’arbre exposés se compose, lui, de frênes têtard, ces arbres coupés, utilisés comme bois de chauffe. Ces arbres aux troncs torturés renouent avec la dimension anthropomorphe du travail de l’artiste. C’est la première fois qu’est rassemblée cette série d’arbres telle une forêt originelle. Ils font face à une petite dizaine de plaques de métal qui font vivement écho à ses toiles. Ces plaques mettent en jeu le procédé d’oxydation, ce phénomène qui nous fait vieillir et que l’on utilise également pour produire de l’énergie. Cette mise en œuvre d’une réaction chimique par nature ambivalente caractérise bien la démarche de Lionel Sabatté. Il s’agit toujours d’une consubstantialité entre vie et mort. Dans ces plaques qui s’apparentent à des paysages vus du ciel, le monde tremble, meurt et revit. En vis-à-vis, défilent ses dessins de visages et de corps faits de poussière déposée sur le papier. Des dessins qui malgré la finesse du trait sont presque sculpturaux. Femmes, vieillards, corps jeunes ou usés par la vie s’y côtoient. Ce sont les visages de notre humanité en train de vivre.
C’est à la Réunion que Lionel Sabatté a vécu de ses 10 à 20 ans. Même s’il faut parfois s’écarter de la dimension biographique d’un créateur, dans ce cas, ce n’est pas un écueil de s’y pencher pour éclairer son œuvre. La Réunion donc, où un volcan, Le Piton des Neiges, est né il y a cinq millions d’année. A cela s’ajoute des rituels tamouls qu’il a vus enfant, pendant lesquels il faut traverser le feu. Lentement, les pieds traversent la chaleur. Assurément, ces images et les éruptions du volcan ont eu une influence sur l’expression plastique de l’artiste. Rouge vif, jaune franc, noir profond. Les couleurs jaillissent, sortent de la toile comme la lave sort de la terre. La terre, et son état gazeux sont ainsi une des explorations de Lionel Sabatté. Tellurique, volcanique et sanguin, donc, ainsi s’expriment ses toiles. Des toiles qui furent d’abord peintes à l’acrylique. Et ce n’est pas un hasard qu’il se tourne à ses débuts vers cette chimie car c’est un dérivé du pétrole, une matière qui contient des organismes morts il y a des millions d’années. L’artiste par ce medium forge en sourdine un hommage aux formes de vie ancestrales. Puis, l’échelle a changé, les états de la vie convoqués ont évolué. Le monde sous-marin l’a pour un temps passionné et a nourri son travail. A l’époque, c’est à l’Aquarium de Paris qu’il expose ses créatures d’un autre temps. L’exposition s’intitulait La fabrique des profondeurs. Profondeurs abyssales qui donnèrent le ton à une série consacrée à l’apparition de la vie et à des créatures réalisées à partir de poussière. Une poussière récupérée au métro Châtelet, fruit des frôlements entre les hommes. Les restes de vie laissés par le passage d’inconnus, d’êtres humains. Du reste, toutes les créations de Lionel Sabatté parlent de l’apparition de la vie et de l’exploration de ses différents états.
L’artiste a ensuite développé une série de peintures, initiée en 2011, qui a muté, tel un organisme. D’abord il y eut des lacs de peinture, retouchés avec un petit pinceau. Des lacs où apparaissaient des créatures vivantes et inconnues. Avec son pinceau, tel un peintre classique, il cherche à l’époque, à former des figures réalistes. Souvent des oiseaux. On pourrait à cet égard parler d’abstraction anthropomorphe. Par touches, la vie apparaît, naît sous nos yeux. Alors qu’un peintre de nature morte s’appuie sur le réel pour composer, lui cherche la vie dans les taches de peinture. Des taches qui réveillent notre propension à trouver l’humain dans le monde mouvant qui nous entoure. A la façon dont on creuse notre imagination pour voir dans le ciel et ses nuages des sujets, des objets connus. Cette aspiration à faire de l’inconnu du connu caractérise en partie son travail. Aujourd’hui, il ne peint plus qu’à l’huile. Sans doute pour créer des effets de matière. Sa série de peintures a en effet sans cesse évolué. Cela lui permit en effet de jouer avec les tons et la lumière. Une lumière qui perce la toile. Ces grands formats façonnent une peinture de l’urgence, de l’éclosion et de l’éclat de la vie. La chaleur en émane, brûlante, bouillonnante. Sous son pinceau et par sa pratique, la peinture froide est réanimée et se réchauffe. Il est intéressant de noter que sa série à l’huile a peu à peu effacé les formes reconnaissables pour laisser place à une pure abstraction. De moins en moins d’êtres et d’oiseaux guident sa peinture. C’est la sculpture qui a comme récupéré et capté ses oiseaux. Ils boitent, ils titubent, ils dodelinent de leurs têtes fragiles. Ces oiseaux en volume sont la suite d’une série de plaques de métal oxydées. Ils sont faits de cire, puis passent entre les mains d’un fondeur. Il les récupère avec des vis qu’il veille à ne pas extraire. Pourquoi les laisse-t-il ainsi marqués par des clous ? Pour qu’ainsi ils deviennent des martyrs, ce qui n’est pas sans évoquer la sculpture africaine. Les accidents deviennent ainsi des actions volontaires. Ces oiseaux, légers comme le vent répondent à ses dessins d’oiseaux des îles. Des dessins qui laissent l’œil, grâce à des effets d’échelle, voir de loin ici une île vue d’en haut, là un oiseau vu de près. Certains volatiles sont morts, comme s’ils avaient péri ou été figés dans le bronze. A travers cette exploration de l’oxydation, Lionel Sabatté s’attache à lier mort et renaissance qui se côtoient alors comme deux amis inséparables. D’autres sculptures peuplent le travail de l’artiste. Notamment une ample série d’arbres morts fleuris de peaux humaines. Sont exposés ici trois groupes d’arbres. Le premier est composé de vrais troncs, entiers, mesurant quatre mètres de haut. Des arbres de la montagne Sainte victoire qui avaient brulés et qu’il fait bourgeonner avec des peaux humaines, comme un gage de vie. Une vie retrouvée à l’aide de bouts de peau de pied glanés chez des podologues. Des pieds urbains, parisiens. Toujours ces traces, ces restes de vie qui ont le pouvoir de réanimer des objets morts... L’épiderme d’anonymes soignés deviennent à travers son geste des pétales de fleurs. L’autre groupe d’arbre est constitué d’oliviers morts pendant l’hiver 54. L’hiver le plus froid du siècle marqué par le célèbre appel de l’Abbé Pierre. Ces arbres parlent d’un élan de solidarité historique. D’une communauté qui tente de lutter comme un seul homme contre la rudesse du climat. L’olivier, de plus, image de paix, enveloppe son œuvre d’une couche symbolique. Le dernier groupe d’arbre exposés se compose, lui, de frênes têtard, ces arbres coupés, utilisés comme bois de chauffe. Ces arbres aux troncs torturés renouent avec la dimension anthropomorphe du travail de l’artiste. C’est la première fois qu’est rassemblée cette série d’arbres telle une forêt originelle. Ils font face à une petite dizaine de plaques de métal qui font vivement écho à ses toiles. Ces plaques mettent en jeu le procédé d’oxydation, ce phénomène qui nous fait vieillir et que l’on utilise également pour produire de l’énergie. Cette mise en œuvre d’une réaction chimique par nature ambivalente caractérise bien la démarche de Lionel Sabatté. Il s’agit toujours d’une consubstantialité entre vie et mort. Dans ces plaques qui s’apparentent à des paysages vus du ciel, le monde tremble, meurt et revit. En vis-à-vis, défilent ses dessins de visages et de corps faits de poussière déposée sur le papier. Des dessins qui malgré la finesse du trait sont presque sculpturaux. Femmes, vieillards, corps jeunes ou usés par la vie s’y côtoient. Ce sont les visages de notre humanité en train de vivre.
Léa Chauvel-Lévy